уторак, 29. јануар 2008.

Fatale erreur dans les Balkans

Par bêtise, par lâcheté, l’Europe a programmé une crise imminente. Avec sa bénédiction, les Albanais du Kosovo s’apprêtent à proclamer leur indépendance. Leur décision est annoncée. Ils n’attendent plus que les jours, les semaines au plus, qui suivront l’élection présidentielle serbe de dimanche car ils savent - c’est dit - que l’Europe et les Etats-Unis reconnaîtront leur Etat.

Cela semblera normal aux opinions occidentales. Elles se féliciteront que les Kosovars puissent exaucer leur vœu de se séparer de la Serbie, mais un précédent va se créer, formidablement inquiétant et dangereux. Il le sera d’abord pour les Balkans, car, lorsque les puissances occidentales auront avalisé cette modification des frontières d’un Etat membre de l’ONU, c’est toutes celles de la région qui seront menacées.

Si les Kosovars peuvent faire approuver la sécession de leur province parce qu’ils la souhaitent et qu’ils sont à 90 % albanais et non pas serbes, pourquoi les Serbes et les Croates de Bosnie-Herzégovine ne pourraient-ils pas se prévaloir, demain, du même droit et souhaiter se rattacher, les uns à la Serbie, les autres à la Croatie ?

Pourquoi les Albanais de Macédoine ne se sentiraient-ils pas encouragés à reprendre les armes pour sortir de ce pays où ils sont trop minoritaires à leur goût ? Et pourquoi la minorité serbe du Kosovo n’invoquerait-elle pas, à son tour, son «droit à l’autodétermination» ? Les Occidentaux jouent avec le feu.

L’Europe risque de susciter là de nouveaux conflits qu’elle aurait à résoudre puisque les Balkans ont vocation à l’intégrer. Non seulement l’Union se tire dans le pied, mais elle se contredit elle-même, dans la plus totale incohérence.

Elle s’était attachée, durant toutes les guerres de Yougoslavie, à faire respecter les anciennes frontières intérieures de la Fédération, devenues frontières internationales. Elle s’était battue pour que soit maintenu le pluralisme ethnique des Etats nés de l’éclatement yougoslave. Elle en avait fait un absolu, une exigence morale si essentielle que c’est au nom de cet idéal qu’elle avait prolongé le conflit bosniaque par son refus d’une Grande Serbie et aujourd’hui… les Etats-nations ?

La cohésion ethnique ? C’est alors par là qu’il aurait fallu commencer. Ce n’eût pas été si scandaleux, absolument pas, mais il y a, en revanche, une stupéfiante légèreté dans ce tête-à-queue si porteur d’une renaissance des tensions, dans ce manquement, aussi, à la parole donnée puisque les Occidentaux s’étaient engagés à Dayton à ne pas rouvrir la question kosovare.

Et ce n’est pas tout, car au nom de quoi, deuxièmement, l’Europe condamnerait-elle maintenant un sécessionnisme flamand, lombard ou catalan ? Sur quelles bases les Occidentaux refuseraient-ils, demain, d’approuver l’indépendance de Taiwan ou de toutes ces régions qui ont d’excellentes raisons d’aspirer, sur tous les continents, à voguer seules ?

En favorisant la multiplication de micro-Etats, c’est sa stabilité et celle du monde que l’Europe ébranle, et du même coup, de surcroît, elle offre à la Russie le plus grand pays des Balkans : la Serbie.

Elle est si consciente de ce danger supplémentaire qu’elle a convaincu les Kosovars de ne pas proclamer leur indépendance avant que les Serbes n’aient voté. Elle a tenté de préserver les chances du président sortant et proeuropéen, Boris Tadic, de ne pas rendre inévitable le triomphe de son adversaire nationaliste et prorusse, Tomislav Nikolic, mais la Serbie est tellement humiliée par l’Union que c’est aux investissements russes qu’elle s’est d’ores et déjà ouverte.

Quel que soit le résultat de dimanche, la Russie s’est acquis une tête de pont à Belgrade, dans une région où l’Europe a tant accru les défis qui l’attendent, et pourquoi l’Union lui a-t-elle tant prêté la main ?

Parce que l’Amérique considérait que l’indépendance du Kosovo était inéluctable, qu’elle l’encourageait, et que les Européens - au lieu de clairement dire qu’ils auraient toutes les raisons de ne pas la reconnaître - ont cru habile d’agiter ce spectre pour amener la Serbie à proposer aux Kosovars une autonomie si large qu’ils ne puissent pas la refuser. Inquiets, les Européens croyaient favoriser une négociation, mais ils n’ont réussi qu’à la rendre impossible car, dès lors que le Kosovo avait la certitude qu’il n’avait qu’à rejeter tout compromis avec Belgrade pour réaliser son rêve, sa route était tracée. Les Kosovars ont repoussé tout maintien d’un lien avec la Serbie. Ils ont tenu bon, gagné, et l’Europe a perdu - par bêtise et lâcheté.

Bernard Guetta est membre du conseil de surveillance de Libération.

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